Pénurie de verre, l'apéro en danger?
Mai 2022
(Lecture 4 mn)
Les vignerons font face à une crise du verre sans précédent, jusqu'à deux mois de retard dans les livraisons de bouteilles en verre. De nombreux viticulteurs se retrouvent en difficulté avec des cuves pleines sans pouvoir embouteiller.
Les bouteilles de vin vont-elles se faire rare?
Le secteur viticole ne cache pas son inquiétude. Depuis le début d'année, les vignerons font face à des difficultés d'approvisionnement de bouteilles en verre et à une forte augmentation des prix.
Les raisons de ces pertubations sont multiples.
D'abord, la guerre menée par la Russie en Ukraine. Ces deux pays, gros fournisseurs de verre- pas moins de sept usines en Ukraine produisaient des bouteilles et les vendaient dans toute l'Europe- ont quasi stoppé leurs exportations. L'autre facteur avancé est l'augmentation du prix du gaz, utilisé pour chauffer les fours verriers. Enfin, une grève des routiers en Espagne au mois de mars a perturné les usines de verre du pays.
Conséquences?
- La France qui importe une bouteille sur quatre, peine et se trouve dans une situation complexe: faire face à une quasi-pénurie et à une hausse des tarifs allant jusqu'à 30%. La tension est forte, en particulier sur les bouteilles utilisées pour le rosé et le blanc plus transparentes que les autres. Une mauvaise nouvelle alors que la saison des apéros estivaux est lancée avec l'arrivée des températures printanières. "La saison du rosé commence et quelques vignerons sont très embêtés car ils ne peuvent pas fournir leur marché habituel", explique Eric Pastorino, le président de l'interprofession des vins de Provence.
- Les plannings de mise en bouteille sont fortement bouleversés.
"On aurait dû mettre 30 à 40 % de nos vins en bouteille, le problème c'est qu'on en a plus une seule". Pour ce vigneron producteur de Chablis, c'est la première fois qu'il se retrouve dans cette situation en 35 ans de métier. "Habituellement, il y a 150.000 bouteilles ici. Là, j'en ai à peine 30.000", rapporte-t-il, face à ses étagères quasiment vides. Le vigneron a donc retardé avec un mois de décalage sa mise en bouteille. A cette pénurie de verre s'ajoute celle des étiquettes, cartons ou encore des capsules ! D'où des retards en cascades. Ce viticulteur a le regard tourné vers les vendanges qui arrivent dans quelques mois. Sans la livraison de ses 70.000 bouteilles prévues début juin, il pourrait mettre sa prochaine récolté en péril. "Je ne sais pas si j'aurai les bouteilles à temps pour ma vinification de 2022", conclut-il.
Comment la pénurie de verre fait émerger des solutions créatives.
La tension est telle que certains vignerons cherchent déjà des alternatives. "Chacun essaie de trouver sa propre solution. Certains changent un petit peu la typologie de leurs bouteilles, d'autres s'attaquent au marketing, ce qui n'est pas évident." explique Ludovic Roux, président des vignerons coopérateurs d'Occitanie.
1. Donner une seconde vie aux bouteilles, ou quand la consigne est remise au goût du jour.
Disparue au début des années 90, la consigne pour les bouteilles en verre est sur le point de faire son retour notamment dans le Var. C'est en tout cas le défi que s'est lancé l'association Ecoscience Provence. Partant du principe que « laver une bouteille coûte moins cher que d'en fabriquer une neuve », la structure de Brignoles envisage de créer un atelier de lavage, en Provence. « L'idée, résume Marie Robin, chargée de mission à l'association, est de relancer le système de consigne dans un souci environnemental, en impliquant un maximum de vignerons. Et avec tous les domaines viticoles présents sur le territoire, ajoute-t-elle, le potentiel est énorme…
2. Et si la pénurie de verre était l'occasion de boire du vin autrement ?
Au cas où les bouteilles en verre viendraient à manquer, il existe heureusement d’autres contenants pour déguster du vin sans altérer leur contenu.
- La canette de vin
Pratique d'utilisation et recyclable, elle propose une contenance inférieure à celle d'une bouteille. Certains pourraient crier au sortilège mais ce contenant est très populaire à l'étranger. C'est notamment le cas aux États-Unis où le réalisateur Francis Ford Coppola lui-même a lancé plusieurs cuvées de vin en canette, allant du pinot noir au chardonnay. Selon une enquête réalisée en février dernier par Opinion Way pour les maitres vignerons de Saint Tropez, 72% des Français seraient prêts à boire du vin en canette ! Ce chiffre monte même à 85% chez les 18-24 ans. Toujours selon cette enquête, un Français sur quatre estime que le vin en canette est adapté à la restauration à emporter. Le public plus jeune, le trouve également adapté pour les festivals notamment.
- Le Bag in Box
Après des débuts discrets, le Bag-in-Box connaît depuis 10 ans une progression spectaculaire. Solide, pratique, économique et écologique, il a fait oublier le vieux cubi et se pose de plus en plus comme une alternative crédible à la bouteille. Le Bag-in-Box, ou « sac en boîte », surnommé parfois fontaine à vin, est plus connu sous le nom de BIB. L’invention est américaine, héritée des recherches spatiales menées par la NASA.
En France, après une décennie de tâtonnements liés à des ajustements techniques, il a trouvé son marché et sa progression est impressionnante : de 2 à plus de 20% de parts de marché en volume. Le BIB a d’abord marché sur les plates-bandes du bon vieux cubi, avant d’empiéter sur la sacro-sainte bouteille en s’attaquant à un marché qui ne semblait pas lui être ouvert, celui des vins fins.
- Les Bio'teilles: bouteilles en papier ou en lin
La bouteille en papier n’est pas un concept nouveau et date de 2013, cependant de nouveaux intervenants « de poids » s’engagent dans cette voie comme le brasseur Carlsberg, ou Diageo pour sa marque de whisky Johnnie Walker ou encore Frugalpac, entreprise britannique spécialisée dans l’emballage durable, qui a créé « Frugal », une bouteille de 75 cl en papier recyclé pour les vins et spiritueux.
Selon une analyse du cycle de vie par Intertek, « Frugal » présente une empreinte carbone (84 %) jusqu’à six fois inférieure à une bouteille en verre.
La société française Green Gen Technologies mise, elle, sur le lin. « Nous travaillons depuis quatre ans sur un projet de bouteille composite à base de fibres de lin tressées et de résines biosourcées ». La bouteille en fibres de lin est plutôt destinée aux vins haut de gamme, en raison de son coût avoisinant 3 euros.
« A quelque chose, malheur est bon » disait Franklin, aussi même si la pénurie de verre s’installe, il est une certitude, nous ne renoncerons jamais au breuvage des dieux ! Les solutions existent. En étant parfois au pied du mur nous avons appris à contourner les obstacles. Derrière ce mur-ci nous prendrons probablement le chemin du mieux disant écologique, du respect de l’environnement. Et si le changement bouscule nos habitudes, il rebat les cartes, et avec beaucoup de volonté et un peu de chance, nous saurons plonger dans un avenir plus respectueux des hommes et de notre chère planète.